Marc Ferro Histoire et Cinéma
Marc Ferro n’est plus. Il avait été pour nombre d’entre nous l’une des pierres, après et avec Marcel Oms, sur lesquelles reposent la légitimité de l’Institut Jean Vigo, du moins s’agissant du couple histoire/cinéma.
Grand historien du monde contemporain – son livre sur la révolution russe est une clef insuffisamment utilisée pour comprendre notre temps – il avait aussi bien renouvelé les études sur la guerre de 1914-1918 que développé une réflexion sur la colonisation envisagée comme un phénomène structurant mondial pas encore dépassé, s’était interrogé sur la façon dont on enseigne l’histoire d’un pays à l’autre, montrant une aptitude à se lancer sur de nouveaux territoires de l’histoire, comme la biographie. Mais, ce qui fut sa plus grande originalité, fut de montrer que le cinéma et les films qu’il produit, loin d’être uniquement confinés à leur statut d’œuvres de distraction ou d’œuvres d’art, étaient une des matières de l’histoire. Le film est pour lui un élément de compréhension de son époque de production, un document dont la fiabilité dépend de la capacité de l’historien à le lire, mais aussi probant qu’un traité ou une suite statistique. Inscrite dans l’histoire des représentations la réflexion de Marc Ferro la transcende en ce qu’il entend donner au cinéma une place déterminante en histoire contemporaine, particulièrement dans sa variante Histoire du temps présent. On sait qu’il ne se contenta pas d’écrire et passa derrière la caméra.
Rien d’étonnant donc, à ce que Marc, qui entretenait des liens avec plusieurs d’entre nous, participât à diverses éditions de Confrontation. Il y vérifiait la justesse de ses thèses, s’y sentait en terre amie et régalait le public d’interventions modestes autant que pertinentes. D’un abord affable, il avait le goût de la discussion, n’éludait jamais le contradicteur et, en général convainquait, car il était un subtil dialecticien. Bon vivant, il ne rechignait, ni sur les repas aux saveurs catalanes, ni sur les vins du pays, gardant cependant une mesure épicurienne qu’admirait Marcel Oms. Nous sommes quelques-uns, quelques-unes, à avoir beaucoup appris de lui, peut-être apprit-il lui aussi, au cours de ces journées de Confrontation, un peu de nous, j’aimerais le croire.
Marc Ferro restera un des caps qui nous permettent de nos situer dans un univers incertain, une de ces lumières qui ne s’éteignent pas, mais aussi demeurera le souvenir d’un homme généreux, indépendant, parfois iconoclaste, fidèle à ses engagements, intransigeant avec lui-même.
Michel Cadé, Président de l’Institut Jean Vigo
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